Soutenu par la résolution 1973 de l’ONU, une coalition regroupant la France, les États-Unis, l’Angleterre, ainsi que dans une moindre mesure le Canada, l’Italie et la Qatar, viennent de lancer une offensive en Libye.
Jetons donc un œil sur la manière dont l’évènement fut traité médiatiquement dans les trois pays formant la base de la coalition :
La France au firmament
Cela faisait bien longtemps (depuis la coupe du monde ? ) que les Français n’avait pas affiché une telle unanimité empli de patriotisme, les journaux, les blogueurs que je suis via Twitter, la classe politiques semblent saluer avec engouement l’action diplomatique et la volonté affichée par Sarkozy de nettoyer Kadhafi au Karcher. Et franchement il semble bien difficile de ne pas soutenir cette initiative tant la répression du dictateur a été jusque la sanglante.
La plupart des médias en ligne ont titré sur la primauté des frappes françaises qui ont ouvert les hostilités aériennes. Visiblement le communiqué de presse de la Défense est très précis et toutes les rédactions s’emploient à nous expliquer quel type d’avions est parti de quelle ville, voilà des détails très utiles pour les Cantonales je présume. Ces articles mettent en avant sans sourciller l’action de l’armée française, et sont illustrées aux couleurs de celle-ci. On notera le papier du Parisien “Sarkozy en chef de guerre”, ou l’on peut lire de long en large les efforts en off de l’Élysée pour répandre la grandeur retrouvée de notre Président, morceaux choisis :
« Il n’a jamais dirigé de guerre, mais avec les prises d’otages, il a des réflexes, il sait faire », assure un proche. Deux heures après la fin du sommet de l’Elysée, les avions de la coalition frappent, dans une scénographie millimétrée. « A la fin du week-end, Kadhafi sera militairement en slip! » s’exclame un diplomate de haut rang.
En pôle position, le président sait qu’il prend des risques en cas de bavure. Mais il est persuadé d’avoir les Français derrière lui. « Si tout se termine bien, ce sera un triomphe. Il était dans les cordes et le voilà qui réunit le monde entier à ses pieds! » ose même un proche, l’œil rivé sur 2012.
Intéressant, comment le “monde entier” perçoit-il la chose alors ?
Que ce soit la BBC, le Guardian, CNN, la couverture ne met pas autant en avant le rôle de Sarkozy, toutefois l’action militaire bleu blanc rouge est signifiée même si elle ne fait pas les gros titre (quelle surprise), et le Wall Street Journal évoque la possibilité de voir les USA diminuer leur participation très rapidement pour laisser les opérations entre les mains françaises et britanniques. La lecture de ces quelques articles en anglais, laisse bien entrevoir le sur-dimensionnement par les médias français du rôle de la présidence Sarkozy dans la mise en place de cette intervention.
Plus sélectif encore, USA Today, souligne le leadership des Etats-Unis (Robert Gates déclarant que les USA seront en première ligne de cette intervention lors d’une conférence de presse) ainsi que de la Grande Bretagne, mais cantonne la France au reste du peloton de la coalition n’évoquant le pays du fromage que dans le cadre de la participation au maintien de la zone d’exclusion aérienne.
Le Washington Post offre une analyse très instructive:
Bien que Hillary Clinton réfute que les USA soit à la tête de cette intervention, le journaliste s’emploie à prouver le contraire, appuyant sa démonstration sur la spontanéité des bombardements depuis les navires de guerre US ( ils ne peuvent pas être déployés instantanément). Il recoupe ensuite avec les déclarations de Robert Gates (citées ci-dessus) ou encore avec la déclaration du Vice Amiral Bill Gortney, qui affirme que les USA ont pris la tête de la coalition. On apprend aussi que les forces britanniques et françaises sont actuellement sous commandement américain, ce qui ne tardera pas à percer dans les médias français (je m’avance peut être un peu à ce sujet… allez savoir). Cela dit permettez moi de douter de la capacité de l’armée française à diriger des opérations militaires internationales, à la rigueur si la coalition était composée de pays francophones, pourquoi pas…
Mais l’article qui a encore plus de quoi faire grincer l’Élysée nous vient du Telegraph (Angleterre) : il focalise sur Sarkozy non pas pour son rôle dans l’intervention visant à libérer le peuple Libyen, mais pour l’étrange amitié qui l’a lié à Kadhafi de manière éphémère en 2007. Les citations de Sarkozy à l’époque font mal aux oreilles (tout autant que le soutien qu’il a essayé d’apporter à Ben Ali pour réprimer le soulèvement du mois de Décembre avant de retourner sa veste):
“Kadhafi n’est pas perçu comme un dictateur dans le monde Arabe […] Il est le chef d’État qui a servit son pays pendant la plus longue période dans la région […] et dans le monde Arabe, cela compte “
Le journal mentionne avec ironie les contrats d’armement foireux qui devinrent des promesses fumeuses comme le prétexte de Sarkozy pour redorer le blason du guignol à lunette au passé terroriste, tout en suggérant avec suspicion un lien entre la libération des infirmières bulgares et la visite de Kadhafi en France lançant son retour sur la scène internationale. Je vous rappelle que suite à sa visite le colonel a eut la joie de nous offrir un des discours les plus marquant de l’histoire de l’ONU. L’article se termine en trouvant des excuses à Sarkozy qui n’est pas à ce jour le seul chef d’État à s’être compromis de manière publique avec l’ex dictateur devenu tyran, photographies à l’appui.
“He is hardly the only world leader with embarrassing pictures linking him to Gaddafi.”
n’oublions pas les rencontres entre le colonel et Chirac ou encore Tony Blair…
Quelques réflexions sur le sujet
L’engagement des pays occidentaux fut remarquablement lent, et tout d’un coup la précipitation. Peut-on mettre cela sur le compte de la catastrophe au Japon qui a probablement détourné l’attention pendant une courte semaine ? Ou simplement sur l’évidente lenteur des tractations des pays Européens pour obtenir l’approbation d’Obama mais surtout celle de la ligue Arabe? A noter que deux jours après le passage de la résolution celle-ci critique avec vigueur l’intervention militaire, un record dans le retournement de veste?
Comment se fait il que la Libye suscitent autant de compassion contrairement à la situation en Cote d’Ivoire, au Yémen (50 morts il y a quelques jours), au Bahreïn (ou l’Arabie Saoudite vient de faire acte d’ingérence en y envoyant son armée), ou encore dans un passé moins proche en RDC ou au Soudan? Tous ces pays font états de massacres ou de violences contre la population. La Libye serait elle une cible facile, serait il nécessaire d’intervenir afin non pas de libérer la population mais afin de réguler le prix du baril de pétrole ?
De même l’objectif de la mission est floue, s’agit il de faire respecter une zone d’exclusion aérienne, d’apporter un soutien aérien aux troupes de Benghazi pour éviter un massacre ou pour reconquérir du terrain auquel cas il faudra probablement armer la rébellion. Obama refuse toute intervention militaire au sol des marines, et la perspective d’une invasion terrestre n’est pas clairement légitime à la lecture de la résolution de l’ONU. Si Kadhafi alors n’est pas renversé assisterons nous à une division du pays entre les différentes tribus ou a un fiasco façon Iraq 1.0.
Et qu’en est il des protagonistes, nous apprenons désormais que l’opposition possédait au moins un avion de chasse, et qu’elle n’est pas constituée uniquement de civils sans défense. A noter que le début du soulèvement fut à l’initiative de la tribu opposée a Kadhafi de longue date qui a sut exploiter l’exaspération de la population, que les monarchistes soutiennent la rébellion ce qui n’est pas forcement le gage d’une démocratie à venir en cas de renversement de Kadhafi. Mais cela ne remet pas en question la responsabilité du colonel dans ce massacre dégueulasse.
En somme Il semble que si la coalition n’atteint pas un renversement rapide, il sera difficile de percevoir cette intervention comme victorieuse, d’autant plus que le contexte économique et électoral n’est pas propice à une guerre de longue durée autant en France qu’aux USA.
Toutefois une question semble dominer toutes mes interrogations : comment quantifier l’opinion du pays, de quoi aura l’air cette intervention si une majorité de la population soutient effectivement son “leader”. Les pays occidentaux étaient certains d’être perçu en libérateurs en intervenant en Irak ou en Afghanistan, ce qui s’est révélé bien loin d’être le cas.
je comprends plutôt cela comme
ce n’est pas le seul dirigeant à figurer sur des photos embarrassantes …
non ?
@grommeleur –
Effectivement a la relecture je penses que tu as raison.
j’ai donc corrige l’article, merci de ton attention :)
Bon en même temps, les médias anglo-saxons, ce ne sont pas les plus intéressants. En tant que français, on lit plutôt l’anglais (malgré parfois quelques contresens ;)) que -par exemple- le chinois, et donc on se demande bien ce qui se dit dans les médias asiatiques (censés être plus neutres sur la question). C’est un peu le “problème” des revues “internationales”, en réalité, elles ne sont en fait ‘que’ anglo-saxonnes et donc très orientées du point de vue informations et analyses.
Quelqu’un parle-t-il le mandarin dans la salle?
Mais je digresse, merci pour la synthèse!
@Mat –
Tu as tout a fait raison :), il serait très intéressant de pouvoir décortiquer les médias Russes, Chinois, Brésiliens ou Indiens.
Mon parti pris de faire une revue de presse anglo-saxonne tient au fait que je vis en Californie. En général lorsque je fais le pas de suivre les médias français, j’ai déjà une vision des événements au travers des médias US, très souvent le contraste de traitement me pousse a réagir, et la le contexte de cette coalition m’a ouvert une autoroute.
Pour aller dans votre sens, la une du nyt ce matin (à Paris) :