Rue 89, le fast food et les pauvres de Los Angeles…

J’aime beaucoup lire Rue 89, mais parfois certains articles me font bondir, ce fut le cas avec un article de William Saletan , partenaire de Rue 89 aux USA et journaliste pour slate.com. Voila les premières lignes de l’article en question qui était titré “A Los Angeles, les pauvres bientôt privés de fast food” :

“La guerre à l’obésité vient de franchir une nouvelle étape aux Etats-Unis. Le conseil municipal de Los Angeles a adopté une réglementation interdisant l’ouverture de tout nouveau fast food sur une zone de 80 km2, dans laquelle vivent quelque 500 000 pauvres.

Il ne s’agit donc plus de plaidoyers en faveur d’une meilleure alimentation, de transparence sur le nombre de calories, ou encore d’interdire les distributeurs de sodas dans les écoles. On est passé, cette fois, à l’interdiction de vendre de la nourriture à des adultes. Il s’agit de traiter cette nourriture comme on traite le problème de l’alcool ou du tabac. Je ne pensais pas que ça serait possible aux Etats-Unis.”
Source Rue 89.

Je vous invite à lire l’article dans son entièreté, mais l’extrait que je me permet de vous proposer ci-dessus est déjà remarquablement contradictoire . Rendez vous compte, les pauvres de Los Angeles vont être privés de fast food, on leur interdirait donc de manger des burgers… Avant même de poursuivre la lecture de l’article je m’interrogeais : Cela signifie quoi concrètement ? pourquoi ? comment ?

Cela signifie quoi concrètement ?

Tout d’abord le titre est mensonger et contradictoire avec la suite du texte : il ne s’agit pas d’interdire les fast food, mais d’interdire toute nouvelle ouverture de fast food pendant un an, reconductible deux fois pour 6 mois supplémentaires. Excusez l’auteur d’une telle approximation dans le titre, qui bien entendu n’aura pas du tout influencé la lecture de l’article…

D’ailleurs le titre de l’article du LA Times cité comme source est lui beaucoup plus clair et moins racolleur :

“Council bans new fast-food outlets in South L.A.” dans une traduction très simple cela donnerait : Le conseil municipal va suspendre tout nouvelle implantation de fast food à South Los Angeles.

Les actuels fast food ne seront pas démantelés et ne risquerons donc pas de priver, non pas les pauvres de Los Angeles, mais les habitants d’un quartier pauvre (entres autres) nommé South Los Angeles. On ne peut pas dire que le ton soit vraiment le même entre les deux articles. Toutefois aussi déroutant que cela puisse paraître l’article de Saletan ne propose quasi pas d’analyse de la situation, il se contente de faire un copier coller de citations diverses afin de souligner le soit disant caractère liberticide de ce moratoire.

Pourquoi ?

L’article de Rue 89 ne cite pas clairement la raison de cette régulation spécifiquement à la zone de South Los Angeles ( une partie centrale représentant moins de 20 % de la surface totale de Los Angeles), pourtant le La Times suggère une piste on ne peut plus évidente :

A report released last year by the Los Angeles County Department of Public Health found 30% of children in South L.A. were obese, compared with 25% of all children in the city.

En d’autres termes, cette zone qui, il est vrai est pauvre, a été choisie en raison non pas de sa pauvreté, mais d’un taux d’obésité plus élevé chez les enfants, atteignant 30%, par rapport à la moyenne déjà très haute de Los Angeles de 25%. La prédominance des fast food dans cette partie de la ville réduit les choix de restauration de la zone et est perçu comme une des causes de cette obésité. D’où la volonté d’installer un moratoire le temps de mettre en place une politique incitatrice afin d’implanter plus d’épiceries et plus d’options de restauration diversifiées.

Mais alors pourquoi donc il y a si peu d’offres alternatives dans ce district ? Je ne crois pas que ce soit uniquement en raison d’un manque de solvabilité des habitants qui serait du a leur pauvreté , non cela est du tout autant à l’insalubrité et la forte criminalité de la zone qui repousse les initiatives personnelles commerçantes dans ce quartier qui a vu naître les émeutes de 1992… De même le fast food est une solution de facilité pour beaucoup de travailleurs à temps partiels cumulant plusieurs emplois pour subsister et disposant de peu de temps pour préparer des repas décents.

Enfin les prix pratiqués dans les supermarchés sont prohibitifs et l’implantation de ces mêmes supermarchés a éliminé la concurrence des petites épiceries offrant pourtant généralement des prix très intéressants, en focalisant sur les produits de saisons ou sur la connaissance de leur clientèle. Par exemple un kilo de tomates en août coûte 1.5 dollars à l’épicerie en bas de chez moi contre un peu moins de 8 dollars au Ralphs un peu plus loin (chaîne de supermarché comparable a Carrefour).

Comment ?

A la lecture des chapitres précédents, cette question devient caduc, mais sur le coup de la lecture du titre je me suis demandé si les pauvres seraient fichés en fonction de leur feuille d’impôt pour pouvoir accéder à un fast food ou si on projetait de les faire passer sur une balance tout en vérifiant leur compte en banque, tout plein de scénarios fiction a la sauce Philippe K. Dick :)

Conclusion

Franchement rapporter un sujet aussi important socialement et sanitairement que l’obésité dans les quartier pauvres à la seule question de la perte de liberté et d’un soit disant paternalisme c’est du foutage de gueule. Que l’auteur prenne cette position relativement libertarienne partagée par beaucoup d’américains (le rejet de l’intervention publique dans les choix de l’individu), pourquoi pas, mais que rue 89 publie un article aussi creux sur ce sujet m’a laissé pantois. Il y a un désintéressement dans l’article à propos de la liaison entre quartier pauvre, obésité, et le profit des multinationales de l’agro-alimentaire écrasant le petit commerce, qui m’a mis mal à l’aise. Cette thématique centrale étant balayée par cette atteinte immonde à la liberté qui ferait disparaître, uniquement pour les pauvres, tous les fast food, les privant ainsi de manger gras pour pas cher, dans un contexte prophétique de fin du monde libre (sic).

Mon témoignage

Vouloir ralentir la progression de l’obésité spécifiquement dans un quartier présentant des statistiques plus élevées que la moyenne semble très fondé à mes yeux. L’enjeu n’est pas seulement d’enrayer cette progression pour les populations pauvres mais bel et bien pour l’ensemble de la population américaine qui a des habitudes alimentaires hors du commun et qui subit une réglementation industrielle qui protège plus le profit de l’industrie que la santé des consommateurs : banalisation des OGM, utilisation extrême d’hormones, d’antibiotiques sur le bétail, engrais à outrance, j’en passe et des pires.
Lorsque je suis arrivé en 2003 à Los Angeles, je fus extrêmement surpris par les très bas prix de la restauration, et l’omniprésence des chaînes de fast food, ma perception me donnait l’impression que pour un restaurant indépendant on pouvait compter environ 5 fast food. Mais attention le fast food aux USA ne se résume pas aux hamburgers, il ya aussi les fast food de salades (Pink), de sandwiches (Subway) , de pizzas (innombrables enseignes), de cuisine mexicaine (Del Taco, El Pollo Loco ), de cuisine chinoise (Panda Express) et bien d’autres au point que l’on est submergé. L’offre n’a absolument rien a voir avec Paris, je vous invite à taper Mc donald’s Paris dans Google map (500 résultats) et de comparer avec Los Angeles (7000 résultats). Pourtant les deux villes n’ont pas une telle différence de population : 11 millions d’habitants sur l’aire urbaine de Paris et 20 millions sur celle de Los Angeles sans compter une population touristique à Paris bien plus important, mais qui bien entendu ne vient pas a Paris pour déguster du fast food :).
Outre cette suprématie du fast food, il est choquant de voir la présence de publicité dans toute la ville, que ce soit sur les voitures sponsorisées des particuliers, dans les écoles, ou sur les bancs . Ajoutez à cela la fréquence des coupures pub à la télévision (un épisode de 42 minutes de Lost est coupé 6 fois 2 minutes), dont vous apprécierez la qualité: par exemple celle-ci pour un sandwich “healthy” de 30 centimètres de long à moins de 5 dollars. Vous avez là un petit aperçu du matraquage actuel: le nombre de pubs pour de la bouffe est remarquablement important, probablement une pub sur quatre.
Des différences alimentaires déroutantes sont présentes à tous les niveaux: Aux USA le système métrique n’est pas de mise, on pèse en livre pas en kilo, on mesure en pied et en pouce et non en mètres. Sauf que sur les canettes de soda la quantité de sucre est écrite en grammes : le consommateur américain a bien peu conscience que sa canette de coca contient en fait 6 morceaux de sucres.
Par ailleurs il est bon de savoir que le pain de mie est sucré aux USA en général, comme la plupart du mais ou des petit pois en conserve…
Un autre changement majeur c’est l’inactivité physique qui accompagne la migration vers cette ville où la voiture est reine. A Paris je prenais le métro régulièrement pour mes trajet, montant et descendant moult marches et faisant quotidiennement beaucoup de kilomètres, aujourd’hui mon effort se résume à quelques mètres pour rejoindre ma voiture puis quelques mètres pour sortir de ma voiture et rejoindre mon bureau. Résultat en 5 ans j’ai pris une quinzaine de kilos, faute de n’avoir pas surveillé mon activité physique…

Il y a environ 25 % de la population américaine obèse, et plus de 60 % sont en sur-poids comme vous pouvez le voir sur les graphiques en fin d’article, le problème a atteint le statut de catastrophe sanitaire, et a mon sens le moratoire voté par la municipalité de Los Angeles est une réponse très timide, mais qui a au moins le mérite d’expérimenter.

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13 thoughts on “Rue 89, le fast food et les pauvres de Los Angeles…”

  1. @ Lucas Janin
    je ne sais pas si l’analyse est “belle” ;) mais je reflechis pour ma part aussi a faire plus d’exercice, une solution serait de ne pas rester assis sur une chaise au boulot mais de poser mon cul sur un velo d’appartement , hehe…

    @ Blogus
    Merci blogus pour ton soutien, je vais essayer de faire un peu plu souvent des billets au sujet de ce “vecu”… en fin de semaine je devrais publier un billet-conseil sur le passage en douane aux USA

  2. Bonjour,

    merci beaucoup pour ces précisions. L’article de rue89 m’avait laissé un malaise mais sans savoir pourquoi.
    C’est très décevant de leur part qu’il n’y ait pas un correctif à cet article.

    Cordialement,

    Olivier Jacquemard

  3. Très bon billet qui montre que les médias peuvent être fainéants et deviennent alors les alliés objectifs de la connerie ambiante. La photo du gamin bibendum est terrifiante. On commence à peine en FR et en UE à se poser la question des enfants obèses, mais on n’a pas du tout le même matraquage publicitaire. par contre le sucre planqué dans les aliments “tout prets” , cuisinés ou les conserve est en hausse semble-t-il.

  4. Merci pour cette article , ça démontre une nouvelle fois que mes craintes envers les journaux ne sont pas infondé.

  5. L’obésité est le reflet du pays et de la société qui la génère et entretient. Le gavage des enfants de pauvres aux USA est le complément de la famine dans le Tiers Monde. Ce sont les deux faces d’un même problème social : le monopole d’un lobby de groupes agro-alimentaires mondiaux qui font de l’alimentation humaine (et animale) une source de profits colossaux.

    Pour résoudre le problème, il faut commencer par essayer de trouver sa cause. Sans quoi, tout remède n’est que pommade sur infection profonde.
    Pourquoi les pauvres et leurs enfants sont-ils les principales victimes de l’obésité ? Pourquoi ne fréquentent-ils pratiquement que des fast foods et ne cuisinent-ils pas ?
    Tu as effleuré la réponse en expliquant qu’un pauvre qui doit effectuer plusieurs jobs pour pouvoir vivre, n’a pas le choix, quoi qu’en dise un plumitif de Rue 89 !
    Creuse encore Garçon et la clarté jaillira.

  6. @ Luis : c’est vrai que je n’ai approfondit enormement le sujet quant aux causes et a la correlation evidente avec le marche mondial. Mais cela dit je creuses regulierement sur le sujet:
    http://cafecroissant.fr/category/alimentation/

    Mais outre la responsabilite de l’industrie agroalimentaire, outre l’OMC et son ignoble politique internationale autour de la nourriture, je crois a une part de responsabilite enorme des consommateurs du fait de leur hyper consommation de viande. Non pas que ce probleme evacue tous les autres et doit etre le seul a etre traite, mais c’est un probleme qui est zappe par les medias et par consequent dont beaucoup de gens n’ont pas conscience… (30 % des terres cultivables sont utilise pour nourrir du betail)

  7. défendre les libertés individuelles une très belle et grande cause qui mérite une veille de chaque instant. De quelles libertés certains pensent prendre la défense: celle de pouvoir acheter des aliments pour pauvres bourrés d’adjuvants et autres qui dans un temps plus ou moins long seront interdits ou en cours d’ interdiction à Bruxelles( lobbys agro alimentaire bloquent ), la liberté alors, serait que chaque produit de consommation puissent comporter de manière lisible et compréhensible pour tous je dis bien pour tous la
    composition, afin que l’on choisisse en conscience de se suicider lentement avec nos enfants .Mais aussi des chaussures toxiques comme en Italie cette semaine; des canapés allergisants; de l huile de moteur dans nos huile de cuisine (y’a pas que les chinois qui triche)etc la liste est bien trop longue. La liberté de certains est de protéger aussi les plus faibles, les plus démunis. Respect pour l’auteur de cet article. L’espérance de vie de ces jeunes enfants est sérieusement entamée
    leur alimentation est devenu dangereuse par les teneurs en sucre, en graisse et en sel qui vont bien au delà des normes pour une consommation sans risque. Bref des sujets connus depuis bien longtemps pas par tous visiblement l’industrie alimentaire a encore de beaux jours devant elle…….

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